Je
reprends l'écriture de mes « carnets d'un exilé volontaire »
avec peine. Après exactement deux mois de vie alternative, j'aurais
aimé vous narrer bien d'autres aventures mais les deux dernières
semaines en ont décidé autrement.
Pour
commencer, je suis tombé malade. Rien de très grave mais la fièvre
a quand même réussi à me paralyser entièrement pendant quelques
jours.
Ensuite,
et c'est là le plus important, la rédaction de mes carnets futurs a
dû faire face aux ritournelles cruelles du « À quoi bon ? ».
Je sais que certains me liront, me commenteront et partageront ce
texte mais j'imagine aussi que sa diffusion sera plus faible parce
que depuis les attentats de Paris, la recherche d'alternatives à ce
système mortifère a cessé d'être une priorité pour beaucoup de
lecteurs potentiels.
En
effet, depuis le 13 novembre, la psychose collective semble avoir
balayé d'un trait les préoccupations sociales et environnementales.
Cette réalité effarante, les réseaux sociaux me l'enseignent tous
les jours.
Au
début, j'ai mis ça sur le compte du choc émotionnel. Ensuite, j'ai
compris que ce n'était pas qu'une réaction à court terme et que
les porteurs d'alternatives devraient composer avec cette drôle
d'ambiance.
J'avoue
en éprouver une certaine peine même si je ne perds pas espoir que
certains se réveillent dans les prochains mois, quand nos États
profiteront trop franchement de ce vent favorable à leur appareil
répressif. Je m'attriste néanmoins qu'il faille peut-être en
arriver là pour leur ouvrir les yeux.
À
dire vrai, ce désintérêt pour les questions sociales et
environnementales me choque parce que je considère qu'il fait
offense à la raison. De nouveaux arguments objectifs en faveur des
alternatives sociétales sont en effet apparus dans le contexte
actuel.
Premièrement,
il faut avoir à l'esprit que cette région du monde où sévit la
barbarie obscurantiste qui s'importe occasionnellement chez nous,
c'est avant tout une zone convoitée par toutes les puissances parce
qu'elle détient les principales réserves de pétrole. L'or noir,
c'est justement le Saint-Graal des capitalistes productivistes. Avant
d'être impliqué dans la tragique crise humanitaire du Moyen-Orient,
le pétrole fut en outre la cause des crises économiques successives
des années septante. Rappelons à ce titre que les capitalistes
américains - déjà eux ! - avaient eu l'idée d'y lier leur
monnaie pour créer les pétrodollars, rendant toute l'économie
mondiale du bloc de l'Ouest dépendante de ce fichu combustible.
Gageons
donc que casser cette dépendance énergétique réduirait l'ardeur
de nos politiciens à se mêler de la politique intérieure des États
du Moyen-Orient.
Cela
permettrait aussi de se défaire du soutien tacite à des régimes
moyenâgeux qui salissent l'image du monde occidental sur toute la
surface du globe et créent de la frustration chez les peuples
spoliés.
Deuxièmement,
vivre sous le capitalisme aujourd'hui et demain impliquera pour le
citoyen européen lambda d'accepter, en plus du salariat aliénant et
des mesures d'austérité, un package de mesures sécuritaires qui le
grèveront dans ses mouvements, le condamneront à subir des
contrôles au faciès et augmenteront son stress quotidien avec
toutes les répercussions que l'on sait sur sa santé. Votre petit
confort mérite-t-il toutes ces frustrations, tout ce temps volé et
cet épuisement chronique ? Je ne le crois pas.
Enfin,
couper les ponts avec ce système nous permettrait de couper
également les ponts avec la logique délétère du ressentiment qui
ne va pas cesser de grandir dans les quartiers populaires à forte
concentration de population d'origine immigrée, un ressentiment que
l'on peut comprendre. En effet, il s'explique principalement par
l'impression d'être un citoyen de seconde zone après avoir déjà
payé le prix fort : celui d'ancêtres volés, malmenés voire
torturés et condamnés par l'entreprise impérialiste.
Les
progressistes n'ont pas à se positionner dans un soi-disant conflit
de civilisation entre « blancs » et « non-blancs »
parce que ce conflit est un paravent agité par toutes les droites,
qu'elles soient occidentales ou indigènes afin de conserver et de
légitimer l'ordre établi. Il s'agit en fait d'une manipulation qui
vise à cacher les problèmes sociaux, économiques et de citoyenneté
de certains quartiers. Considérer que le conflit de civilisation est
à la base de tout, c'est nourrir le racisme dont se repaissent à
leur tour tous les fascismes, qu'ils soient djihadiste, anti-arabe ou
antisémite. C'est une chaîne sans fin qui pourrit ce qu'il reste du
vivre ensemble sous le capitalisme.
J'espère
vous avoir convaincu que ces attentats tragiques devraient au
contraire nous permettre de dire un grand « Stop » à
l'impérialisme, au culte de la croissance capitaliste qui prend des
allures de religion et aux attaques sans cesse répétées contre nos
libertés individuelles chèrement conquises.
Voilà
pourquoi, après cette petite pause « réflexion », je
reprendrai l'écriture des carnets avec, je l'espère, plus
d'assiduité. À l'heure où l'État bourgeois profite de la
situation pour museler ceux qui cherchent une alternative à
l'impasse dans laquelle il nous a plongé, plus que jamais, nous ne
devons rien lâcher. Je tenais à publier ce billet aujourd'hui même
sur mon blog pour marquer ma solidarité avec les militants
écologistes arrêtés, perquisitionnés et assignés à résidence
sous le prétexte de l'État d'urgence. Une fois encore, l'avenir de
la planète sera débattu par les puissants de ce monde sans que nous
n'ayons notre mot à dire ni même la possibilité d'assister aux
discussions. L'urgence est avant tout sociale, environnementale et
citoyenne. Amis de la Terre, ne lâchons rien !
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