Préambule
D'ici
quelques jours ou quelques semaines, vous partirez peut-être pour
d'autres horizons. Voyager me semble important pour l'être humain.
Nos vies sont trop souvent réduites à des allers-retours linéaires,
effectués la montre en main.
Le
voyage devrait au contraire être le temps durant lequel le temps,
justement, s'abolit. Cela devrait être un moment que l'on peuplerait
de tout ce qui nous élève et que la société d'aujourd'hui ne nous
encourage pas assez à faire : lire, marcher à son rythme,
prendre du repos, réapprendre à respirer comme il faut, partir à
la découverte des coutumes locales, des paysages, des spécialités
du coin,...
Nos
vacances sont hélas trop souvent encadrées par la société de
consommation : nous nous faisons les poches pour pouvoir
emménager un bout de temps dans un hôtel où, invariablement, il y
aura une piscine, la télévision et de la nourriture plus ou moins
générique en abondance. On y produira une tonne de déchets et on y
paressera lorsque la météo ne sera pas vraiment à notre
convenance. Au final, malgré le changement de décor, on vivra tout
aussi coupés de la nature que lorsque nous sommes au travail ou à
la maison.
Cette
tendance est générale : même les campings se sont
embourgeoisés ! Les modèles les plus simples de caravane n'y
sont presque plus admis, ils ont été remplacés par des espèces de
chalet en plastique hors de prix dans lesquels on trouve plus de
confort que dans n'importe quel studio d'un quartier populaire.
Parce
que ce type de vacances m'écoeure, j'ai décidé de profiter de
quelques jours de congé pour partir à l'aventure avec ma compagne.
L'aventure
démarre.
C'était
un mardi de mars. L'air était printanier, mais chargé de polluants,
comme trop souvent dans les agglomérations belges. Je m'étais levé
avec une fougueuse envie de quitter le pays. Bien que couvant un
début de rhume, ma compagne était également d'avis que flâner
sous d'autres cieux lui ferait du bien.
Nous
sommes donc partis à pied de bonne heure, en route vers la sortie de
la ville. Nous n'avons emporté qu'une tente pour deux personnes, un
nécessaire de toilette, quelques menues provisions et une tenue de
rechange. Heureusement ! Mine de rien, un sac pèse vite lourd.
Nous
avons choisi minutieusement notre emplacement pour faire du stop :
une voie large avec une bande d'arrêt. Il faut en effet que l'on
puisse nous repérer de loin et que le conducteur désireux de nous
rendre service ait la possibilité de s'arrêter facilement sans
entraver la circulation.
Après
quarante minutes d'attente, une dame a ralenti et nous a fait signe
d'embarquer. Intriguée de nous voir, immobiles sur le trottoir avec
notre panneau « Paris- Sud de la France », elle a
volontairement changé de direction. Elle nous a proposé de nous
emmener jusqu'à la frontière, plus précisément à la
station-essence de l'autoroute, là où de nombreux routiers marquent
une pause pour casser la croûte avant d'entrer en France.
Nous
étions ravis de débuter enfin notre aventure. À Mons, l'ambiance
devenait anxiogène. Nous avions observé de très nombreux véhicules
de police rouler à vive allure, leur sirène déchirant le mur du
son. Que se passait-il donc ? Nous allions l'apprendre alors que
nous venions de nous installer sur la banquette arrière de notre
première conductrice.
Des
attentats terroristes avaient frappé l'aéroport de Zaventem. Les
radios avançaient des chiffres différents mais l'on pouvait deviner
que le bilan allait en s'alourdissant.
Je
n'en étais nullement surpris. Salah Abdeslam, en fuite depuis les
attentats de Paris, avait été arrêté il y a peu, après une
cavale de quatre mois. Les positions belges de l'État Islamique
allaient sans doute être révélées au grand jour et les
terroristes joueraient les kamikazes jusqu'au bout.
Je me
sentais néanmoins assez bouleversé : une fois encore,
c'étaient de simples citoyens qui étaient tombés tandis que les
puissants, impérialistes ou fanatiques, menaient leurs guerres
impitoyables, au grand mépris de la vie.
Notre
aventure a ainsi pris les traits d'une bravade. Alors que les
autorités, tant françaises que belges, invitaient au repli sur soi,
nous sommes donc partis à la rencontre de l'Inconnu et d'inconnus.
C'est
sur l'aire d'autoroute, à l'heure du dîner, que nous avons
rencontré Ali. Il ne parlait pas français, seulement espagnol, mais
nous nous sommes compris : il rentrait chez lui, à San
Sebastian, au Pays Basque, pour quelques jours de congés. Sa
destination finale nous aurait bien tenté mais nous craignons de ne
pas avoir assez de temps devant nous pour profiter de l'Espagne. Nous
avons donc cheminé avec lui jusqu'à Bordeaux.
Notre
conducteur avait quitté son Azerbaïdjan natal il y a une dizaine
d'années. Il s'y sentait privé d'avenir, cette ex-république
soviétique étant ravagée par la corruption. Plusieurs fois par
semaine, il fait la navette de Zaventem au Pays-Basque espagnol quand
il ne transporte pas diverses marchandises aux quatre coins de
l'Europe occidentale. Les nouveaux attentats qui ont visé le
continent semblent fortement le tracasser. Il n'a rien à se
reprocher mais craint les contrôles.
Ensemble,
nous traversons la France depuis le Nord jusqu'en Gironde sans
emprunter les grands axes. Ce sera long, très long. Il est prêt de
vingt-trois heures lorsque nous débarquons dans le quartier
populaire de la gare de Bordeaux. C'est assez paisible et un brin
décati. De nombreux panneaux nous renseignent une auberge de
jeunesse. Nous décidons d'y passer notre première nuit.
L'agent
d'accueil nous reçoit avec le sourire. Il a l'accent chantant de
Toulouse, celui de la bonne humeur perpétuelle. Il nous offre un
plan, balisé des éléments incontournables à voir dans le cœur
historique de Bordeaux. Il s'arrange également pour nous libérer
une chambre de deux. Nous allons nous ménager un maximum d'heures de
repos : demain, nous avons juré de dormir à la belle étoile.
Mercredi
se lève une demi-heure plutôt qu'en Belgique. C'est normal :
nous avons déjà descendu de six degrés en latitude. Nous nous
apprêtons au plus vite pour partir en quête de la vieille ville.
Tantôt un vent frais nous caresse la peau, tantôt c'est un soleil
bien vif qui la dore. On sent que la côte est proche et que l'on se
situe désormais dans la moitié Sud de la France.
La
vieille ville est empreinte d'une certaine nostalgie, avec ses
gargotes nichées dans d'étroites rues commerçantes. La fibre
artisanale semble avoir été préservée. Les passants nous
renseignent de leur propre chef. Comme souvent, dès que l'on
atterrit plus bas que Paris, les habitants des régions visitées
nous prennent soit pour des français du Nord, soit pour les belges
que nous sommes. C'est amusant.
Nous
nous accordons un saut à la maison écocitoyenne de Bordeaux, un
projet concrétisé par la mairie, en partenariat avec le site Ecolo
Geek. C'est un lieu sympa, où l'on apprend à pédaler comme un
hamster tourne dans sa roue pour produire de l'électricité. Il y a
aussi de chouettes réalisations déco en matériaux de récupération
et, plus intéressant pour moi, des brochures sur la faune et la
flore de la région.
Nous
passons à table. Nous avons choisi un bistrot typique, décoré
telle une cave à vin où le menu du jour est proposé pour une
petite dizaine d'euros. C'est un plaisir que l'on s'accorde
volontiers car l'on sait que les prochains jours se dérouleront sous
la tente et que l'on y mangera frugalement. La plus belle surprise du
repas nous est offerte par le Tariquet premières grives, un vin
blanc moelleux conseillé par la maison. Il est suave, fruité et
plein de nuances.
C'est
donc le ventre plein que nous quittons Bordeaux. La sortie de la
ville étant trop loin pour nos ventres repus, nous nous décidons à
emprunter la voie ferrée. Ce sera la seule fois que nous ne
voyagerons pas en stop. Nous pouvons ainsi remarquer que la SNCF
rivalise avec la SNCB en matière d'absurde : de nombreux sièges
passagers se trouvent là où s'ouvrent les portes et il faut se
lever et les replier à chaque halte pour laisser entrer les autres
passagers. Heureusement, l'ambiance à bord est bon enfant. Une dame
d'une cinquantaine d'années nous vante l'action bénéfique du
bassin d'Arcachon sur la santé et des étudiants nous demandent
cordialement ce qui nous pousse à quitter notre Belgique. Les
paysages changent brusquement, la végétation se fait méridionale
et l'air du large s'insinue à travers la porte. « Surtout,
prenez le temps d'aller vous poser près du vieux port » nous
recommande la dame.
Nous
arrivons bien vite au terminus. Le contraste entre l'air maritime
frais et la température élevée est vivifiant. Je me mets en quête
d'une carte topographique afin de nous trouver un lieu où poser
notre tente. Arcachon est aussi une ville, mais à quelques
kilomètres d'ici commence une vaste étendue de sable, surplombée
un peu plus loin par la dune du Pilat, la plus haute d'Europe. C'est
dans cette direction que nous irons. Il y a en effet des petits coins
isolés de forêt où l'on saura prendre nos aises sans troubler le
voisinage.
Apparemment,
d'autres nous ont précédés. Le site choisi présente des traces de
camping sauvage : de la toile de tente déchirée, des
bouteilles et des canettes ont été éparpillées sur le sol. Nous
nous promettons d'emporter tous nos détritus avec nous. Un peu plus
loin dans les bois, je repère une très belle surface derrière les
fourrés. Elle forme un cercle de trois ou quatre mètres de
diamètre, entouré de pins maritimes et de buissons. Elle est aussi
parfaitement plane. C'est parfait ! En cas de pluie, nous serons
plus ou moins au sec.
Le
jour décline. Nous refusons de le laisser filer si vite. Nous
sortons de notre antre et retrouvons le bord de mer pour observer le
déclin de ce mercredi atypique dans un feu de couleurs où l'azur se
dispute avec un soleil ardent.
Nous
faisons ensuite un tour dans la pénombre jusqu'au hameau voisin et
repérons une pharmacie, une poissonnerie et un bar-tabac. Nous
remarquons aussi de nombreuses agences immobilières affichant des
appartements de standing à plus de six cent mille euros. Nous
sommes arrivés ici par hasard. D'autres ont pu s'établir dans cette
belle région grâce à la force de leurs moyens. Comme souvent, les
écrins de verdure à l'air salubre sont la chasse gardée de la
bourgeoisie. Cependant, personne ne juge du regard notre allure
modeste et nous nous disons que rien ne nous empêchera de profiter
de ces lieux paisibles au climat caressant.
Jeudi
sera le jour de la grande marche. Nous quittons nos fourrés vers
9h30, après avoir déjeuner avec trois cookies chacun et avoir
effectué notre toilette avec un peu d'eau et du savon liquide. En
aval, le bassin d'Arcachon dévoile les charmes que le clair-obscur
de la veille nous avait seulement permis d'entrevoir. La plage n'est
pas très large, et l'on y croise peu de monde. L'essentiel de nos
rencontres, sur les cinq premiers kilomètres, se résumera à des
personnes d'un certain âge accompagnées de leurs amis canins.
Le
bleu du ciel ne tolère que peu de nuages et ils sont vite chassés
par le vent. Sur l'autre rive, c'est le Cap Ferret qui se dévoile à
mesure que la brume enveloppante se lève. Les locaux nous l'ont
dit : dans la région, le soleil peut régner en maître sur une
rive et être voilé sur l'autre.
Après
avoir disséqué de nos yeux ébahis un cadavre de méduse, la dune
du Pilat s'annonce enfin. Nous décidons de pique-niquer à son
sommet. Cela fait partie des petits plaisirs que j'aime à m'offrir
le plus souvent possible. En plus, il est très facile en France de
se procurer du vin tendre et du fromage onctueux pour à des prix
deux fois moindres que ceux pratiqués en Belgique.
L'après-midi
se passe dans une parfaite décontraction. Nous dévalons une cage
d'escaliers nichée entre les pins pour rejoindre le littoral. En
bas, le confort offert par un impressionnant matelas de sable nous
incite à poursuivre nos lectures du moment, l'Arrache-coeur pour
Lily et un essai sur la révolution pour ma part. Je sombre dans un
sommeil de guimauve après une petite dizaine de pages. Qui a dit que
partir en aventurier n'offrait pas de délicieux moments de repos ?
Lorsque je m'éveille, j'admire un de nos voisins : le
chamaerops humilis, un palmier nain, le seul qui pousse à
l'état sauvage en France. Lily me met au défi d'escalader la dune du Pilat. Groggy,
je râle, en maudissant intérieurement ce rosé trop suave. En
effet, gravir un mur de sable interminable exige de ma part un
certain effort physique couplé à une grande attention. Les prises
sont peu nombreuses et l'on dérape vite.
À
notre grand regret, l'esplanade au-dessus de la dune est clôturée.
Elle fait office de terrasse pour un restaurant de standing démesuré.
Je ne peux que déplorer, une fois de plus, la privatisation de la
nature par les nantis.
Néanmoins,
nous rentrons heureux de notre balade et regagnons avec le sourire
notre campement de fortune. Il faut dire que l'on jurerait avoir fait
encore plus de route que le chemin réellement parcouru. Les grandes
villas blanches perchées nous évoquerait presque, avec nostalgie,
l'Amérique de Tom Sawyer.
La
deuxième nuit à la belle étoile nous confronte à un adversaire
invisible et bruyant, semblant défoncer chaque obstacle qu'il
rencontre. Nous restons calmes pour ne pas attirer son attention.
Très vite, nous le soupçonnons d'être un sanglier. Je me hasarde
alors hors de la tente pour récupérer discrètement la nourriture
que nous avons laissée devant la porte. L'agitation dure une bonne
demie-heure puis s'éloigne progressivement. Au réveil, des traces
de pattes dans la terre, à quelques dizaines de mètres, confirment
notre identification. Heureusement, nous n'étions pas sur sa
trajectoire.
Nous
décidons d'explorer un peu plus la ville d'Arcachon. Ou plutôt les
villes. Arcachon présente la particularité intéressante d'être
composée de quatre grands quartiers, conçus en fonction des
saisons. Égarés dans les bois à cause d'une erreur de carte, nous
arrivons trop tard pour récupérer les invendus sur le marché de la
ville d'été.
Par
contre, cette nouvelle marche nous offre la possibilité d'une belle
rencontre. C'est en effet en quittant le hameau des Abatilles
que nous tombons sur Flore et Stéphane, un couple qui a pris la
route dans un petit van aménagé. Ils s'arrêtent en nous voyant :
ils voyagent depuis plusieurs jours et cherchent un lieu où ils
pourraient prendre une douche. Ça tombe bien : nous ne sommes
pas des locaux mais je ne me déplace jamais en territoires nouveaux
sans emporter une carte et il se trouve justement qu'ils sont à
proximité du seul camping ouvert toute l'année, celui de la ville
d'hiver !
Nous
croiserons à nouveau Flore et Stéphane le lendemain. Il nous
proposeront de partir avec eux quelques jours en Dordogne. Après un
moment de réflexion, nous accepterons. Notre belle plage déserte
s'est hélas brusquement emplie de touristes. Normal, on est le
premier samedi des vacances de Pâques, il fait 24 degrés et le
soleil règne en maître, pour le bonheur des familles.
En
route pour la Dordogne
C'est
dans les embouteillages, à la sortie d'Arcachon, que nous en
apprenons plus sur nos hôtes. Flore, lassée de sa Sarthe natale, a
rassemblé il y a quelques mois ses économies pour se payer une
petite camionnette Volkswagen. Stéphane, lui, a quitté le Nord jugé
déprimant pour la vie sauvage en Ardèche. Il sillonne désormais la
France en moto. Habitué de la route, il ne tarde d'ailleurs pas à
dépasser le van dans lequel nous avons pris place avec Flore. Après
Bordeaux, la route s'élève sensiblement. Le trajet sera long, la
camionnette peinant à dépasser les 80km/heure. Assommé par les
embouteillages, nous somnolons tous les trois dans la voiture.
Arrivés
aux abords de Périgueux, Stéphane nous attend : il a trouvé
un bois où passer la nuit. Ici, les arbres sont encore chauves et
les branches crissent comme des cordes de violon. Il fait toujours
aussi doux, mais des averses nous arrosent par intermittence. Lily
souffre de son rhume, je crains une sinusite face à quelques
saignements. Je lui promets de passer la nuit suivante dans une
auberge. Cela permettra également à Flore de prendre une douche.
Quant à Stéphane, il retournera en Ardèche dès le lendemain.
Périgueux
se dévoile à nous en ce dimanche de Pâques. C'est une ville à la
campagne, plutôt paisible sans être pour autant dénuée de vie.
Son cœur historique s'est figé dans le temps et sa cathédrale
surplombe tout telle une géante muette. Nous notons les efforts
manifestes pour conserver la façade d'origine de chaque bâtiment.
Les rues sont encore plus étroites qu'à Mons mais les voitures ne
s'y hasardent pas , pour le grand plaisir des passants. Nos
édiles communaux devraient s'en inspirer.
Nous
flânons le long de l'Isle où a été installé un parcours de
santé. Flore nous démontre qu'elle porte bien son prénom en nous
dénichant quelques plantes comestibles. J'apprécie particulièrement
le croustillant de l'achillée millefeuille avec lequel je me
préparerai plus tard une salade. Après cette journée passée
ensemble, nos chemins se sépare : Flore ira en Corrèze tandis
que nous partirons à l'assaut du Périgord noir, une région où
dominent les forêts profondes, les cours d'eau et les falaises.
C'est
une mère de famille qui nous y emmène, acceptant de faire un détour
de quinze kilomètres à travers les petites routes qui nous offrent
une vue à couper le souffle sur ces terres de contraste. Le Périgord
noir, c'est un peu comme les Ardennes du Sud. Il n'y fait pas bien
haut et pourtant, on croirait tutoyer les sommets tant le relief est
accidenté. Comme en Calestienne belge, le sol calcaire a favorisé
l'émergence de nombreuses grottes. Nous y visitons la grotte du
Grand Roc qui nous rappelle combien la nature peut être artiste. Ce
sont toutefois les habitations troglodytes, toujours habitées et
encastrées dans d'impressionnantes falaises, qui nous étonnent le
plus. En début de soirée, nous faisons du stop pour rentrer sur
Périgueux. Un jeune homme s'arrête immédiatement. Décidément,
les dordognots sont des gens serviables et charmants.
Mardi
sera le jour du départ. Nous devons rentrer, notre agenda ne nous
permettant hélas pas de voir davantage du pays. Dommage. Nous sommes
aussi prévoyants : nous avons compté deux jours pour le
retour. Nous savons que parcourir 800 km avec le même conducteur,
comme à l'aller, tient à un coup de chance extraordinaire. Et en
effet, cette fois, nous devrons emprunter beaucoup plus de véhicules
pour rejoindre Mons. Ce sera néanmoins l'occasion de nouvelles
rencontres intéressantes.
Nous
sommes postés depuis près d'une heure à la sortie de Périgueux au
moment où un homme assez âgé nous prend en stop. Pas de chance, il
n'a qu'une seule place de libre et n'avait pas vu que nous étions
deux. Il nous embarque jusqu'à la sortie d'autoroute. Il est déjà
midi et je sens qu'il nous faudra attendre que l'heure de pause passe
pour avancer sur la route. Encore une fois, c'est long. Vient enfin
un homme d'une trentaine d'années qui a loué une camionnette Super
U. Longue, haute et large, elle ferait un superbe van aménagé. Il
nous emmène jusqu'à Thiviers. Là, une autre camionnette s'arrête
et nous nous installons entre les baffles et les amplis. Notre
bienfaiteur est régisseur. Il revient de Notre-Dame-Des-Landes et il
émane de lui un flegme déconcertant. On discute un peu politique.
Cette fois, on avale enfin quelques dizaines de kilomètres. En route
pour Limoges !
La
nationale s'élève et serpente. Au loin, on devine les premiers
contreforts du Massif Central. Lorsque nous sortons du véhicule, la
fraîcheur nous surprend. Nous ne sommes pourtant qu'à un petite
centaine de kilomètres de Périgueux. On comprend mieux dés lors
pourquoi les habitants de la Dordogne voient déjà la Haute-Vienne
comme une terre du Nord. La bruine se change rapidement en pluie et
l'encre du mot Paris, écrit sur notre affichette, commence à
couler. Une jeune fille s'arrête, prête à nous sacrifier pas mal
de place dans sa petite voiture, mais elle ne va pas dans notre
direction. Encore une fois, c'est une camionnette qui fera notre
bonheur.
Le
chauffeur s'appelle Stephen. Par chance, il va au-delà de Paris.
Nous optons pour sa destination finale : Château-Thierry, une
ville de Picardie aux portes de la Champagne et de l'Île-de-France.
Il nous restera environ 200km à parcourir une fois arrivé là-bas.
Stephen
est vraiment heureux de nous avoir à bord. Nous ne tardons pas à
réaliser que nous lui rendons aussi service à notre façon. Son
métier, c'est d'aller installer des chantiers un peu partout en
Europe et, parfois, ailleurs dans le monde. Il a commencé à
construire des éoliennes à 20 ans et est devenu chef d'équipe à
30. La Belgique est pour lui un territoire familier : il a monté
les fameuses éoliennes d'Estinnes, à 10 kilomètres de chez nous.
« Quand vous voyez une éolienne avec un pale plus long, ça
veut dire que mon entreprise est sûrement passée par là »
nous confie-t-il.
Il est bavard. Il craint en effet de
s'endormir. C'est le revers de la médaille : si son métier le
passionne, il doit effectuer de très longs déplacements. Sa
conversation est riche d'anecdotes : il nous raconte ses
dégustations de bière en Belgique, son voyage en Canada, un concert
de reggae en Bretagne durant lequel même la maire fumait des
joints ! On passera au total 5 heures ensemble.
Arrivés
à Château-Thierry, nous comprenons qu'il est vain d'espérer aller
plus loin aujourd'hui puisque seule une voiture passe toutes les cinq
minutes. Nous cherchons donc en vain un endroit paisible où planter
notre tente. Hélas, il n'est pas de zones boisées où l'homme a
laissé la nature s'installer. Puis, il fait froid. Le mercure est
tombé sous les dix degrés et je crains que Lily ne connaisse une
rechute.
Nous
posons donc nos quartiers dans un hôtel Campanile. Le complexe est
placé au beau milieu d'une large chaussée et est entièrement
clôturé. Il nous faut faire un très long tour pour y entrer. De
plus, la mairie de Château-Thierry ne semble pas avoir prévu de
trottoir en périphérie. Quelle poisse ! Le Sud-Ouest nous
manque déjà.
Le
lendemain, nous sommes réveillés par la pluie qui frappe à notre
carreau. Nous prenons deux douches, la première est officielle, la
seconde est offerte par un ciel couvert. Le stop devient pénible :
la route est fréquentée par des camions qui nous envoient une
bourrasque à chaque passage. Par chance, l'attente est brève. Un
homme nous embarque pour 10 kilomètres. Immédiatement après, un
autre nous emmène dans le centre de Soissons où sa fille suit des
cours de danse.
Il
est tôt et il se dégage de Soissons un charme architectural
particulier. Je persuade Lily de s'y arrêter pour pique-niquer et
d'y flâner une bonne heure, le temps de goûter à l'ambiance du
centre-ville et d'arpenter les ruines de l'Abbaye. La visite est
quelque peu gâchée par des regards en coin et des doigts
accusateurs qui nous désignent. Notre dernier conducteur nous avait
pourtant prévenus : à Soissons, les gens sont guindés. La
ville est en effet assez petite-bourgeoise et certains semblent jouer
les aristocrates qu'ils ne sont pas.
C'est
Boukrous qui nous aide à en déguerpir. Livreur professionnel,
traversant la France comme l'Allemagne et les Pays-Bas, il a fini sa
dernière mission et rentre chez lui dans la banlieue Nord de Lille,
non loin de la frontière belge. On ne pouvait pas mieux tomber !
Il conduit rapidement et des terrils ne tardent pas à nous annoncer
que le retour au bercail est imminent. Notre conducteur nous dépose
à Mons-en-Baroeul. Mons ! On est presque rentrés...
C'est
une jeune trentenaire nous raccompagne à la frontière, aux
alentours de Rumes. Elle aime chantonner des airs populaires entre
chaque virage et est soucieuse de nous parler de l'histoire des
villages que nous traversons. Elle nous dépose sur les premiers
mètres d'asphalte belge, là où se tient une pompe à essence qui
doit sa clientèle à son impressionnante collection de bières. Un
père de famille nous emmène dans le centre de Tournai, puis c'est
Camille et Benoît, un couple d'étudiants qui nous reconduit à la
maison. Vous ne devinerez jamais quelle est leur ambition... Ouvrir
un café littéraire ! Nous leur proposons donc de prendre un
verre dans notre Coin aux étoiles. Ils font ainsi connaissance avec
Sheeby et Katniss, nos deux adorables chattes asiatiques qui nous
boudent un peu, malgré qu'elles aient pu bénéficier de la présence
de Fabrice, notre cat-sitter.
La
soirée se clôture autour d'un plat de nouilles et nous nous jurons
de remettre ça au plus vite... Bien d'autres horizons encore nous
attendent !
Un périple emprunt de Liberté, cette Liberté chère à nos coeurs et bien souvent mise de côté au profit des obligations. Ton récit me donne envie de découvrir Bordeaux à l'occasion. Des vacances de la sorte me tentent bien, mais seule je ne me sentirai pas en sécurité. C'est une très belle aventure que vous avez mené, des rencontres peut-être éphémères mais toujours riches, bien loin de la société de consommation. Simplement du partage. J'espère que vous pourrez revivre de tels moments ! Merci de cette évasion Florian.
RépondreSupprimerUne Nantaise qui rêve souvent de larguer les amarres.
On voyage tous un peu avec vous grace à tes écrits cher Florian!!!
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